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Slobodan KOJOVIC

L’ÉVÊQUE BERKELEY

O mon cher Berkeley, tu es seul, sans nul tiers,
Colosse dont la tête englobe ce beau monde.
Les trois siècles passés, tes descendants sont fiers !
Ton penser nous empeste, nous tue et nous inonde.

Quand Diderot, athée, alors te combattait,
Il disait : "Il y a un moment de délire…
"Le clavecin sensible a pensé qu'il était
"Le seul clavecin qu’il y eut au monde, et" – pire

Encor – "que toute l’harmonie de l’univers
"Se passait en lui". Ciel, comme ce doux délire,
Dans le temps actuel, ronge comme les vers
Les cerveaux des humains, en les faisant maudire.

La sensation supplante un profond sentiment,
Les Percepts, sans pitié, tous nos Concepts suppriment,
La conscience ici périt ignoblement,
Les fesses en chaleur sur notre tête priment.

De tous faits, le Percept est le seul positif,
Le Phénomène, ici, bondit comme une balle,
Mais, tu nies le réel, le beau monde objectif.
Tout devient insensé, tout devient la kabbale.

Sophiste, Jésuite ou Philosophe nouveau !
Vos mots sont une plaie, une horrible vermine
Qui cassent notre crâne, ouvrent notre cerveau,
En mettant la science et la morale en ruine.

Esclavagiste, Aristocrate ou vil Bourgeois,
Tout comme la raison, le bon sens vous menace !
Nietzsche, Protagoras, Berkeley, sans émois,
Explosez nos cerveaux ! Mettez-les à la casse !

Vous le ferez très bien, c’est votre raison d’être,
Votre raison à vous, car vous servez le Maître.

Slobodan KOJOVIC, 2001

LES POÈTES BANNIS

Cher Potier, cher Clément, chère Louise Michel,
Ni la beauté des vers aux vérités profondes,
Ni le penser ardent, engagé, solennel,
Ni cet art de la rime aux graines si fécondes

Ne vous ont évité l'exil ou la prison.
Pour avoir combattu pour une cause juste,
Pour avoir appelé le peuple à la raison,
On vous a refusé la place en monde auguste.

Pendant que vos récits tonnent en haut du ciel,
Le globe parcourant comme des élégies,
Les philistins pédants, leur discours officiel,
Vous refusent l'accès dans les anthologies.

Face à votre parole, à son si grand élan,
Tout pâles sont les mots des maîtres du Parnasse.
Ne pouvant l'étouffer par un discours soûlant,
Sous le silence, alors, on met ce chant coriace.

Par vos actes humains, par vos merveilleux vers,
Vous avez répandu la gloire de la France
Sur tous les continents et sur tout l'univers,
Mais dans votre pays, point de reconnaissance.

Tous ceux qui fusillaient le peuple de Paris
Vos paroles toujours déclarent dépravées,
Vous maintiennent encore en marge des esprits,
O poètes bannis aux œuvres encavées !

Slobodan KOJOVIC

ULTIME CHANCE

Arrivé jusqu’au bout, son avenir miné,
Un système trop vieux, une cause perdue,
Qui s’accroche à la branche, à l’image tordue,
Perdant sa raison d’être, encor veut dominer.

Quand on est dans son tort, plutôt que de se rendre,
On tente un dernier coup, - on détruit la raison !
Plus rien n’est juste ou faux, tout critère en prison,
Pour ne plus rien saisir, pour ne plus rien comprendre.

Au temps de Périclès, - le sophiste – on le dit.
Il se nomme – jésuite – à l’époque classique.
Ce fumiste s’appelle – avant-garde artistique –
Qui vide nos cerveaux, en ce siècle maudit.

Slobodan KOJOVIC, 2003