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Eugène POTTIER

ENTRETENUS À NOS FRAIS

Tous ces bonshommes-là, c'est autant d’escarcelles
A remplir, travailleurs! Dans leur instinct de sacs,
Ils ont horreur du vide, et nous payons leurs fracs,
Leurs gants, leurs bains-de-mer, leurs catins et leurs selles.

Dans 1a corruption plongés jusqu'aux aisselles,
Sont-ils préfets à poigne, ils servent les micmacs
De nos gouvernements de trucs et de ficelles ;
La c1asse dirigeante a produit ces réacs.

O paons de basse-cour, nullités cravatées,
Faiseurs, beaux fils, mangeurs de soupes apprêtées,
Certes, vous coûtez gros et ne valez pas cher !

O misère ! Et tu prends, toi, peuple qui travail1es,
Le pain des tiens, leur sang, leur cerveau, leurs entrailles,
La moelle de leurs os, pour tous ces happe-chair !

Eugène POTTIER, 1884

 

ABONDANCE

A Ferdinand Gambon, membre de la Commune de Paris


Toute une mer d’épis ondule et les sillons
Portent à la famine un défi ; l’été brille,
De chauds arômes d’ambre emplissant les rayons ;
Les blés murs, pleins et lourds, attendent la faucille.

Les moineaux, les mulots festinent ; les grillons
Poussent un chœur strident comme un feu qui pétille.
La brute semble croire à ce que nous croyons,
On entend tout chanter l’Abondance en famille.

Du sein de la nourrice, il coule en ce beau jour
Une inondation d’existence et d’amour.
Tout est fécondité, tout pullule et foisonne !

Mais, rentrant au faubourg, mon pied heurte en chemin
Un enfant et sa mère en haillons… morts de faim !
Qu’en dites-vous, blés mûrs, et qui donc vous moissonne?

Eugène POTTIER , 1883